Christine Essobé, patiente
« Le cancer est apparu dans ma vie il y a huit ans. »
« Cela a commencé par des douleurs au ventre après un accouchement, suivies de l’annonce d’une diverticulite, de plusieurs interventions chirurgicales et chimiothérapies, et de 150 points de suture. Des traitements très lourds, avec de nombreux effets indésirables… Au début, on n’a pas bien entendu ma douleur. Et j’ai eu droit à des réponses toutes faites : mais non, c’est normal… c’est la cicatrice… Parfois, les médecins ne prennent pas conscience du fait qu’on peut avoir mal sur ce que j’appelle des “à-côtés”. Il faudrait qu’ils soient plus attentifs et travailler la communication. La prise en compte de la douleur est venue au vu des images et des réhospitalisations. Un premier médecin m’a envoyée chez la psychologue, mais j’avoue que je l’ai mal pris. Pour moi, c’était une façon de me dire que ça se passait dans ma tête. Je ne supportais plus la morphine, ni les antidouleurs traditionnels comme le Tramadol®. Les choses se sont améliorées quand je suis passée du premier hôpital, où les débuts ont été difficiles, à Paul Brousse(1). C’est mon médecin généraliste à Bobigny (93), le docteur Hilal, qui m’a fait connaître cet hôpital. J’y ai trouvé une équipe incroyable, toujours à l’écoute et toujours bienveillante et où le personnel ne vous laisse jamais seule.
J’étais juriste dans le milieu de la mode et du cinéma. J’ai dû arrêter ce métier qui me passionnait et j’ai été reconnue handicapée par la MDPH, ce qui est toujours un choc. Aujourd’hui, je peux dire que mon métier, c’est de me soigner et d’élever seule mes trois filles. J’ai des soins quasiment tous les jours, entre Avicenne, où les choses se sont bien améliorées, et Paul Brousse. Les soins de support m’apportent vraiment beaucoup : psychologie – dont je comprends maintenant l’intérêt –, kinésithérapie, sophrologie, sport adapté… Récemment, j’ai découvert la musicothérapie, qui aide à libérer ses émotions. Ça fait plaisir de voir que les choses progressent. Mais, avec le recul, je me dis que j’ai la chance d’avoir eu une formation et un métier qui m’ont permis de dialoguer, de questionner et même de me révolter. Que se serait-il passé si j’avais été une femme immigrée parlant mal le français ?… »
(1) Paul Brousse est un hôpital de l’AP-HP situé à Villejuif (Val-de-Marne).
Dr Yassine Hilal, médecin généraliste à Bobigny
« J’exerce depuis six ans à la maison de santé Miriam Makeba à Bobigny. Dans ma patientèle d’environ 2 000 personnes, je compte quatre-vingts à cent malades atteints d’un cancer, ainsi que des personnes en rémission. »
« C’est la proximité, qui fait que ces patients viennent me consulter, mais aussi parfois le désespoir. Bien sûr, les patients ont été briefés par l’équipe de l’hôpital, mais ils viennent souvent me voir pour des douleurs différentes, par exemple une douleur au dos pour un cancer du foie. Au-delà de la proximité, d’autres raisons expliquent qu’on se tourne vers son médecin généraliste. C’est le cas notamment des délais de prise en charge dans les centres de traitement de la douleur. Or, en ville, le patient peut venir me voir dès qu’il a mal. Et il revient si ça ne va pas mieux. Certains viennent également parce que, comme ils le disent, ils n’osent pas déranger le spécialiste. Je vois aussi des malades confrontés à un échec de prise en charge de leur douleur. Sans parler – même si les cas sont heureusement rares – de ceux que les urgences renvoient avec une boîte de paracétamol.
La prise en charge de la douleur, c’est une approche très spécifique. Quand vous avez une chimio, on vous donne une molécule avec des critères objectifs. Mais quand vous avez une douleur, le médecin doit avant tout se fier au patient. Lorsque l’un d’eux vient me voir pour une douleur, je commence par l’écouter. Il est très rare qu’un patient n’exprime pas sa douleur, mais encore faut-il la décrypter. Pour y répondre, on aide à gérer la douleur, au besoin avec des médicaments pour l’urgence. Néanmoins, il faut faire une balance avec les effets secondaires et la qualité de vie. C’est plus compliqué encore pour les patients actifs : il ne faut pas les “endormir”, surtout quand leur activité professionnelle les aide à affronter leur cancer. Je fais aussi appel, le plus possible, aux soins de support, à commencer bien sûr par le centre de lutte contre la douleur, rattaché à l’hôpital Avicenne (hôpital de l’AP-HP à Bobigny en Seine-Saint-Denis). C’est en revanche plus difficile pour la kinésithérapie, la sophrologie ou l’acupuncture. Côté social, je peux compter également sur les aides de la Ligue contre le cancer, très précieuses pour certains patients. »
Dr Antoine Lemaire, médecin douleur et soins palliatifs, chef du pôle cancérologie au centre hospitalier de Valenciennes
« Depuis quarante ans, les chiffres de la prise en charge de la douleur sont toujours aussi interpellants. Malgré les plans et les politiques déployés ces dernières années, il reste encore beaucoup à faire. »
« Certes, la prise en charge des cancers a évolué, les traitements curatifs aussi, mais les effets secondaires n’ont pas disparu. Il y a aussi le vieillissement de la population et la chronicisation de certains cancers. C’est une maladie complexe, avec des douleurs elles-mêmes complexes, à même de changer régulièrement, d’où leur qualificatif de multimorphe. On réduit trop souvent leur prise en charge à l’administration d’un traitement, notamment la morphine, mais ce n’est pas si simple. L’approche antalgique doit être interdisciplinaire au sein de la dynamique de soins de support, avec des stratégies médicamenteuses, interventionnelles si besoin, ou complémentaires. Si on analyse correctement le parcours d’un patient atteint d’un cancer, on ne doit pas passer à côté de la douleur. C’est vrai pour tous les médecins et soignants prenant en charge le patient : la douleur doit être évaluée et réévaluée à chaque consultation. Malheureusement, l’enseignement de la douleur et des soins palliatifs dans la formation universitaire des soignants reste encore insuffisant, d’où l’importance de la formation médicale continue post-universitaire. Les patients ont rarement accès à une équipe interdisciplinaire spécialiste de la douleur, et encore moins précocement dans leur parcours de soins. Il est recommandé de proposer des évaluations standardisées, une sorte de “screening” tout au long du parcours : chaque échange avec le patient est en effet l’occasion d’évaluer la douleur et ses répercussions potentielles, ou les traitements, à la fois en termes d’efficacité ou d’effets secondaires éventuels. Et ainsi proposer, en fonction des problématiques identifiées, le recours aux équipes spécialisées, qui apporteront leur expertise en lien avec les équipes d’oncologie, le médecin traitant, les réseaux de cancérologie ou encore des prestataires de santé du domicile. Les soins de support, dont la prise en charge de la douleur, ne sont pas optionnels en France et doivent être proposés tout au long du parcours, avec un objectif : la qualité de vie du patient atteint d’un cancer. »