En juillet 2022, alors que sa femme, Valérie, est hospitalisée pour un cancer du poumon, Cuong Vû-Sève consulte son médecin traitant pour ce qu’il pense être une infection urinaire. On lui découvre en réalité un caillot sanguin qu’il faut opérer. « Au bloc, il se trouve que le caillot est en fait une tumeur de 60 millimètres qui prend quasiment toute la place dans ma vessie », précise Cuong. Après l’été, il commence une chimiothérapie, mais les effets secondaires l’épuisent. Après la deuxième séance, il fait le choix difficile d’arrêter le traitement. « Mon taux de globules blancs avait tellement chuté que cela risquait de me tuer », explique-t-il.
Une opération radicale est alors programmée pour décembre : l’ablation totale de la vessie et de la prostate, puis la réalisation d’une stomie de Bricker, c’est-à-dire la création d’un conduit urinaire qui débouche sur une poche extérieure recueillant les urines.
Soigner le corps… et l’esprit
Pour Cuong, pour qui la vie n’a pas toujours été clémente, c’est un nouveau coup dur. « Me dire que je vais être branché en permanence, que je n’aurai plus l’envie d’uriner et plus d’érection naturelle, c’est vraiment difficile sur le plan psychologique », raconte-t-il. Pour réussir à passer du « naturel à l’assisté », comme il le dit lui-même, Cuong consulte le psychologue de l’hôpital, un suivi qu’il trouve indispensable.
Je me rends compte que j’ai eu la chance de vivre ma plus belle vie.
Tatouer pour réparer
Pendant son opération et les jours difficiles qui suivent à l’hôpital, Cuong fait l’expérience du pire… mais aussi du meilleur avec une équipe soignante aux petits soins pour lui. « Je cherchais un moyen de les remercier, mais je ne suis pas très chocolat ; mon truc, à moi, c’est le tatouage », raconte-t-il. Il commence donc à proposer aux aides-soignants, secrétaires médicales, infirmières, mais aussi à des patients, de venir se faire tatouer gratuitement dans son salon. Au total, une dizaine de personnes acceptent sa proposition et cela plaît tant qu’il crée sa propre association dédiée à cette activité : inKrabe. « Quand je tatoue dans ces conditions, je me sens utile, raconte-t-il. J’ai l’impression d’apporter aux personnes malades une forme d’aide psychologique, c’est une manière de les encourager à se réapproprier leur corps, en cachant les stigmates, sans pour autant qu’elles oublient ce qu’elles ont traversé. »
Ma devise : faut pas se leurrer, faut pas pleurer.
Une maladie qui coûte…
Si Cuong est généreux, il a fait la triste découverte que le cancer n’a pas seulement des conséquences physiques et morales, mais aussi économiques. « Mon statut d’indépendant n’étant pas vraiment reconnu, j’ai dû travailler tant que j’ai pu pour continuer de subvenir aux besoins de ma famille, raconte-t-il. Pour compenser les moments où j’ai vraiment dû m’arrêter, nous nous sommes serré les coudes, avec ma femme, mais ce cancer nous a coûté nos économies. » Aujourd’hui, il a pu reprendre son activité de tatoueur, mais à son rythme. « Avec 19 kg en moins suite aux traitements, j’ai perdu en dextérité, il m’a fallu réapprendre à écrire », explique Cuong.
Je ne me considère pas comme une personne malade, mais comme un rescapé.
No future ?
S’il ne se considère plus comme un malade mais comme un « rescapé », Cuong, rockeur dans l’âme, prend ce que lui donne la vie, sans en attendre trop. « Mon avenir ? Je n’en avais pas avant, je n’en ai pas plus maintenant, dit-il avec un brin de provocation. J’ai vécu au-delà de mes espérances, alors ce que la vie me donne maintenant, c’est du rabe et j’ai bien l’intention d’en profiter. »
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Témoignage de Valérie, sa femme
« On a traversé ça ensemble. »
« Je n’étais pas encore remise de mon cancer quand le diagnostic de celui de Cuong est tombé. C’était émotionnellement très dur, d’autant que j’étais encore traversée par mes propres peurs. Mais finalement, ça m’a fait du bien de passer au second plan. J’étais très centrée sur moi-même pendant mon cancer et le fait de reprendre la casquette de celle qui aide m’a permis de tourner une page. Cuong était un malade facile, même s’il a traversé une période compliquée avec des idées noires. Vivre cette épreuve ensemble nous a recentrés sur l’essentiel ; l’amour que l’on se porte l’un à l’autre. »
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_ Ça m’a aidé _
Si, pendant le temps des traitements, Cuong Vû-Sève a dû renoncer à son activité de tatoueur, qui est aussi sa passion, il a su trouver, en solo ou avec son épouse, Valérie, d’autres sources de bien-être.
Ma femme a toujours été là pour me soutenir et n’a jamais remis en question mes décisions. J’ai beaucoup de chance.
Les réseaux sociaux
Quand j’étais malade, mes proches m’appelaient régulièrement et ça me prenait jusqu’à trois heures pour finalement raconter la même chose. J’ai alors décidé de donner de mes nouvelles à tous via Instagram et Facebook. Je les ai ainsi informés et j’ai reçu beaucoup d’encouragements aussi. C’est un soutien des temps modernes.
L’écriture
Découverte pendant le confinement, ma passion pour l’écriture ne me quitte plus, j’ai d’ailleurs déjà publié
plusieurs romans. Mêlant fiction et autobiographie, les livres que je crée m’apportent une forme d’évasion : quand j’écris, c’est comme un rêve qui prend vie, je suis complètement absorbé dans l’écriture.
Le running
Après dix-neuf ans d’arrêt de la course à pied, je m’y suis remis après mon opération, sous l’impulsion de Valérie, mon épouse. Une activité physique qui me fait du bien mais qui n’a pas été sans difficultés, au début : j’avais l’impression d’être un nouveau-né qui devait tout réapprendre. Je cours désormais deux fois par semaine sur plusieurs kilomètres.
L’aide aux autres
Aider les autres, c’est un moteur, pour moi. Aider les soignants qui travaillent dans des conditions difficiles en leur proposant un tatouage, ça donne un sens à ma vie.