Ligués contre le cancer

25e anniversaire des 1ers États généraux de la Ligue contre le cancer

Et maintenant ? Les personnes malades et leurs proches dénoncent.

Si la lutte contre les cancers fait, en France, l’objet d’une stratégie décennale 2021-2030, de nombreux défis restent à relever. Inégalités dans l’accès aux soins, difficultés à obtenir certains traitements, conséquences psychologiques, économiques et sociales encore pesantes, manque de considération des proches aidants… En première ligne, celles et ceux qui font l’épreuve du cancer décrivent parfaitement ces réalités. Écoutons-les.

Accompagnement
Aidant
Défi
Image sociale du cancer
Patients ressources
Représentants des usagers
Témoignage

18/12/2024


« Mon papa est décédé d’un cancer du pancréas en 2017. Il avait encore une activité professionnelle et, donc, j’ai dû prendre en charge tout le côté administratif qui s’ajoute au côté médical comme une charge mentale face à laquelle on n’est pas forcément armé. En tant qu’enfant, les rôles s’inversent et je me suis retrouvée émotionnellement seule. J’ai eu la chance d’être entourée de multiples compétences dans ma famille, qui comporte à la fois des soignants et des avocats. Mais pour ceux, nombreux, qui n’ont pas cette possibilité, la Ligue est là.

Il ne faut pas hésiter à demander aux assistantes sociales de monter des dossiers pour avoir des aides financières parce que malheureusement, quand on est dans la maladie, on peut se retrouver avec des soucis financiers. Si on veut se concentrer sur sa maladie, sur une rémission, même si on se sait condamné, il faut pouvoir se décharger de tout cela et,
à la Ligue, on peut le faire. »


« En août dernier, on a diagnostiqué un lymphome d’Hodgkin à mon fils Matteo, âgé de 15 ans. Comme nous vivons en Martinique, il a fallu faire nos bagages pour qu’il soit pris en charge à l’Institut Gustave Roussy, près de Paris. Heureusement, le Comité de la Ligue en Martinique m’a tout de suite contactée. Ils ont su apaiser mes craintes liées au déplacement en me donnant toutes les informations pratiques dont j’avais besoin dans l’urgence.

Je suis partie avec lui, laissant sa sœur, son père et mes parents âgés. Nous avons la chance d’être logés à la Maison Ronald McDonald, près de l’hôpital, mais Matteo est en grande colère d’avoir quitté la Martinique. Il se réfugie dans les jeux vidéo, son échappatoire à la maladie. La continuité scolaire lui permettrait de garder un lien social précieux avec le lycée mais tous les enseignants ne jouent pas le jeu et il est considéré comme absent, dans sa classe. Là encore, la Ligue a contacté le rectorat pour essayer de faire bouger les choses. En attendant, comme Matteo est fan de football, la Ligue lui a fait en sorte qu’il assiste à un match du PSG. Il m’en parle tous les jours. »

3 questions à


Catherine Simonin, administratrice nationale de la Ligue contre le cancer et membre de France Assos Santé

Bien sûr, il existe encore des situations inacceptables : le prix des franchises qui a doublé, l’augmentation du ticket modérateur et des tarifs des complémentaires santé… Il y a aussi encore énormément à faire en matière de prévention et je déplore que ce terme ait d’ailleurs disparu du titre de ministre de la Santé. Les mots ont un sens et nous devons être vigilants qu’ils n’engendrent pas de maux.


« En janvier 2022, j’ai 57 ans, je ne fume pas, je suis en pleine forme et on me découvre par hasard un cancer du poumon. Me voilà avec un emploi du temps de ministre, un planning sans dérogation fait de rendez-vous – chimios, scanners, bilans… – et une étiquette sur le front où il est écrit « cancer ». Ce crabe s’accroche et dirige ma vie. Je dois cesser mon activité d’assistante familiale auprès de l’enfance inadaptée et, après trente ans de carrière, je culpabilise car il n’est pas dans ma nature de m’arrêter.

En affection de longue durée, je deviens dépendante de la société en percevant des indemnités journalières à la place d’un salaire confortable. Cela représente une réduction importante de mon budget, comme si la maladie ne suffisait pas. Cette maladie m’a fauché ma liberté et, à quatre ans de ma retraite, je dois vivre de rien. Passer la porte du Comité de la Ligue des Alpes-Maritimes a été pour moi dur, très dur, mais j’y ai trouvé un havre de paix, de bonheur, loin de l’hôpital de jour. J’y ai retrouvé mon identité. Les rencontres que j’y ai faites – psychologue, socio-esthéticienne, réflexologue… – m’ont aidée à me réapproprier mon corps. »


Issu du Plan cancer 2014-2019, le dispositif

« patient ressource » a été expérimenté dès 2015 par la Ligue contre le cancer, puis déployé en 2021.

Personnes malades ou anciennement malades, les patients ressources partagent bénévolement leur expérience de la maladie et du parcours de soins auprès de personnes traversant la même épreuve, de leurs proches ou de professionnels de santé.

« Quand j’étais malade, j’aurais aimé que d’autres personnes malades me transmettent leur expérience, c’est pourquoi je suis devenue patiente ressource, explique Christelle Pigeard, administratrice du Comité de la Ligue en Loire-Atlantique. Ni médecins, ni psys, nous sommes à l’écoute de la personne malade en partageant avec elle un savoir commun et quotidien de la maladie qu’elle aura du mal à trouver ailleurs. Nous sommes aussi là pour l’aiguiller vers des soins de support qui peuvent la soulager. » Le patient ressource joue également un rôle important auprès des soignants. À l’Institut de cancérologie de l’Ouest (ICO), par exemple, les patients ressources sont mobilisés dans la formation des médecins externes à l’annonce d’une maladie grave. Ils jouent le rôle du malade dans le cadre de la mise en scène d’une annonce et enrichissent cette séquence de formation pratique de leur propre vécu. « Avec ce dispositif, les jeunes étudiants futurs praticiens prennent conscience du fait que chaque patient est unique et qu’il est important, lors de la consultation, de s’adapter à chaque malade, ajoute Magali Le Blanc-Onfroy, directrice médicale à l’ICO René Gauducheau de Saint-Herblain (44). Les témoignages des patients ressources appuient le fait que la relation de confiance entre malades et soignants est extrêmement importante et se noue dès l’annonce de la maladie. »


« Entre mon premier cancer, un lymphome hodgkinien stade 4 agressif, et une rechute, huit ans se sont écoulés et, entre ces deux moments, j’ai constaté un énorme changement dans le suivi des personnes malades.

Tout s’est déshumanisé, j’ai l’impression de n’être qu’un numéro. Dans la salle d’attente pour les chimios, toutes les personnes malades sont face à un écran en attendant leur tour, à la chaîne. Ce manque de bienveillance est très violent. Les délais de rendez-vous sont aussi largement rallongés, l’accompagnement est presque inexistant et certains médicaments sont en rupture ; tout cela met en danger notre santé. Les soins liés au bien-être physique et mental ne sont pas non plus remboursés et j’aurais dû m’en passer pour des raisons financières mais j’ai pu en bénéficier grâce au Comité de la Ligue de Gironde, qui a été un vrai soutien dans mon combat. Je précise que je ne remets pas en cause les compétences de mon oncologue ni des soignants ou des services administratifs, qui font de leur mieux dans un système devenu très compliqué où tout est guidé par l’argent… Finalement, nous subissons tous les conséquences de l’abandon des services de soins. »

Le point de vue


de Patrice Pinell, sociologue, ancien directeur de recherche à l’Inserm


Dans la Grèce Antique, le cancer était considéré comme la plus terrible des maladies, exceptionnelle par sa rareté et sa cruauté. Cette image a tenu jusqu’au début du XXe siècle où les progrès de la médecine ont permis quelques guérisons. Quand la Ligue contre le cancer naît, en 1918, elle porte l’idée que la maladie est curable à condition d’être prise en charge rapidement. Il faut alors que les gens s’inquiètent de ce qui ne les inquiétaient pas jusqu’alors et ce discours de la peur bénéfique se poursuit dans l’entre-deux guerres.
Dans les années 60, des parcours de guérison font évoluer l’image du cancer dans les familles mais son association à « la mauvaise mort », celle qui survient au terme de dégradations physiques et de terribles souffrances, reste toujours présente. Si, aujourd’hui, l’idée que le cancer n’est plus irrémédiablement une maladie mortelle a globalement progressé, des différences sociales n’en existent pas moins dans les représentations que les gens s’en font. Plus la distance culturelle des malades au savoir médical est importante, plus ils auront tendance à percevoir le cancer comme une maladie laissant peu de place à l’espoir et, pour certains, à retarder le moment de consulter un médecin… d’où le risque de diagnostics tardifs. À ces différences socioculturelles s’ajoutent les conséquences des inégalités d’accès au système de santé, en particulier dans les territoires où l’offre de soins est limitée. Enfin, la diffusion de certaines fake news sur les réseaux sociaux est un problème dont il serait important de prendre la mesure.

Plusieurs prises de parole (personnes malades, aidants, institutionnels…) se sont succédé tout au long de la journée du 28 novembre 2024.