« Quand on est aidant, on se sent souvent très seul. »
« Mon papa est décédé d’un cancer du pancréas en 2017. Il avait encore une activité professionnelle et, donc, j’ai dû prendre en charge tout le côté administratif qui s’ajoute au côté médical comme une charge mentale face à laquelle on n’est pas forcément armé. En tant qu’enfant, les rôles s’inversent et je me suis retrouvée émotionnellement seule. J’ai eu la chance d’être entourée de multiples compétences dans ma famille, qui comporte à la fois des soignants et des avocats. Mais pour ceux, nombreux, qui n’ont pas cette possibilité, la Ligue est là.
Il ne faut pas hésiter à demander aux assistantes sociales de monter des dossiers pour avoir des aides financières parce que malheureusement, quand on est dans la maladie, on peut se retrouver avec des soucis financiers. Si on veut se concentrer sur sa maladie, sur une rémission, même si on se sait condamné, il faut pouvoir se décharger de tout cela et,
à la Ligue, on peut le faire. »
Cécile Carreras-Devot, aidante et trésorière du Comité de la Ligue des Alpes-Maritimes
« Si l’Institut Gustave Roussy existait en Martinique, nous n’aurions pas été obligés de tout quitter pour la Métropole. »
« En août dernier, on a diagnostiqué un lymphome d’Hodgkin à mon fils Matteo, âgé de 15 ans. Comme nous vivons en Martinique, il a fallu faire nos bagages pour qu’il soit pris en charge à l’Institut Gustave Roussy, près de Paris. Heureusement, le Comité de la Ligue en Martinique m’a tout de suite contactée. Ils ont su apaiser mes craintes liées au déplacement en me donnant toutes les informations pratiques dont j’avais besoin dans l’urgence.
Je suis partie avec lui, laissant sa sœur, son père et mes parents âgés. Nous avons la chance d’être logés à la Maison Ronald McDonald, près de l’hôpital, mais Matteo est en grande colère d’avoir quitté la Martinique. Il se réfugie dans les jeux vidéo, son échappatoire à la maladie. La continuité scolaire lui permettrait de garder un lien social précieux avec le lycée mais tous les enseignants ne jouent pas le jeu et il est considéré comme absent, dans sa classe. Là encore, la Ligue a contacté le rectorat pour essayer de faire bouger les choses. En attendant, comme Matteo est fan de football, la Ligue lui a fait en sorte qu’il assiste à un match du PSG. Il m’en parle tous les jours. »
Murielle Olière, mère de Matteo, 15 ans, en cours de traitement d’un lymphome de Hodgkin
Retrouvez le témoignage vidéo via ce lien
3 questions à
Catherine Simonin, administratrice nationale de la Ligue contre le cancer et membre de France Assos Santé
En quoi les États généraux représentés ont-ils été vecteurs de progrès ?
Écouter les personnes concernées par une maladie pour faire avancer leur situation a représenté une avancée majeure. Elle a marqué le début d’un pouvoir d’agir, d’un élan de solidarité entre personnes malades qui s’est traduit par la création du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) devenu, en 2017, l’Union nationale des associations agréées du système de santé (Unaass), nommée France Assos Santé, dont la Ligue contre le cancer est membre fondateur. Et, depuis la loi de modernisation du système de santé de Marisol Touraine en 2016, on parle désormais de démocratie en santé et non de démocratie sanitaire : les usagers du système de santé, les soignants et les usagers travaillent désormais main dans la main afin d’améliorer les politiques de santé.
Les personnes malades sont-elles davantage écoutées aujourd’hui ?
L’instauration des représentants des usagers – qui sont souvent des personnes ayant traversé la maladie et sont formées par les associations – a permis de passer de l’action individuelle à l’action collective pour améliorer la qualité et la sécurité des soins pour les personnes malades. Il s’agit, par exemple, de signaler des temps d’attente trop longs aux urgences, la fermeture de certains services dans les hôpitaux, etc. Leur voix porte au sein de différentes instances et pèse dans les décisions au niveau national et même européen.
Y a-t-il encore des améliorations à prévoir en termes de considération des personnes malades ?
Bien sûr, il existe encore des situations inacceptables : le prix des franchises qui a doublé, l’augmentation du ticket modérateur et des tarifs des complémentaires santé… Il y a aussi encore énormément à faire en matière de prévention et je déplore que ce terme ait d’ailleurs disparu du titre de ministre de la Santé. Les mots ont un sens et nous devons être vigilants qu’ils n’engendrent pas de maux.
« Après un cancer, on se rend compte qu’on a traversé l’enfer. »
« En janvier 2022, j’ai 57 ans, je ne fume pas, je suis en pleine forme et on me découvre par hasard un cancer du poumon. Me voilà avec un emploi du temps de ministre, un planning sans dérogation fait de rendez-vous – chimios, scanners, bilans… – et une étiquette sur le front où il est écrit « cancer ». Ce crabe s’accroche et dirige ma vie. Je dois cesser mon activité d’assistante familiale auprès de l’enfance inadaptée et, après trente ans de carrière, je culpabilise car il n’est pas dans ma nature de m’arrêter.
En affection de longue durée, je deviens dépendante de la société en percevant des indemnités journalières à la place d’un salaire confortable. Cela représente une réduction importante de mon budget, comme si la maladie ne suffisait pas. Cette maladie m’a fauché ma liberté et, à quatre ans de ma retraite, je dois vivre de rien. Passer la porte du Comité de la Ligue des Alpes-Maritimes a été pour moi dur, très dur, mais j’y ai trouvé un havre de paix, de bonheur, loin de l’hôpital de jour. J’y ai retrouvé mon identité. Les rencontres que j’y ai faites – psychologue, socio-esthéticienne, réflexologue… – m’ont aidée à me réapproprier mon corps. »
Sylvie Ambrogio Zedda, traitée en 2022 pour un cancer du poumon dans les Alpes-Maritimes
Patients ressources : des personnes malades au service des patients… et des soignants
Issu du Plan cancer 2014-2019, le dispositif
« patient ressource » a été expérimenté dès 2015 par la Ligue contre le cancer, puis déployé en 2021.
Personnes malades ou anciennement malades, les patients ressources partagent bénévolement leur expérience de la maladie et du parcours de soins auprès de personnes traversant la même épreuve, de leurs proches ou de professionnels de santé.
« Quand j’étais malade, j’aurais aimé que d’autres personnes malades me transmettent leur expérience, c’est pourquoi je suis devenue patiente ressource, explique Christelle Pigeard, administratrice du Comité de la Ligue en Loire-Atlantique. Ni médecins, ni psys, nous sommes à l’écoute de la personne malade en partageant avec elle un savoir commun et quotidien de la maladie qu’elle aura du mal à trouver ailleurs. Nous sommes aussi là pour l’aiguiller vers des soins de support qui peuvent la soulager. » Le patient ressource joue également un rôle important auprès des soignants. À l’Institut de cancérologie de l’Ouest (ICO), par exemple, les patients ressources sont mobilisés dans la formation des médecins externes à l’annonce d’une maladie grave. Ils jouent le rôle du malade dans le cadre de la mise en scène d’une annonce et enrichissent cette séquence de formation pratique de leur propre vécu. « Avec ce dispositif, les jeunes étudiants futurs praticiens prennent conscience du fait que chaque patient est unique et qu’il est important, lors de la consultation, de s’adapter à chaque malade, ajoute Magali Le Blanc-Onfroy, directrice médicale à l’ICO René Gauducheau de Saint-Herblain (44). Les témoignages des patients ressources appuient le fait que la relation de confiance entre malades et soignants est extrêmement importante et se noue dès l’annonce de la maladie. »
« Malade, j’ai eu le sentiment de n’être qu’un numéro. »
« Entre mon premier cancer, un lymphome hodgkinien stade 4 agressif, et une rechute, huit ans se sont écoulés et, entre ces deux moments, j’ai constaté un énorme changement dans le suivi des personnes malades.
Tout s’est déshumanisé, j’ai l’impression de n’être qu’un numéro. Dans la salle d’attente pour les chimios, toutes les personnes malades sont face à un écran en attendant leur tour, à la chaîne. Ce manque de bienveillance est très violent. Les délais de rendez-vous sont aussi largement rallongés, l’accompagnement est presque inexistant et certains médicaments sont en rupture ; tout cela met en danger notre santé. Les soins liés au bien-être physique et mental ne sont pas non plus remboursés et j’aurais dû m’en passer pour des raisons financières mais j’ai pu en bénéficier grâce au Comité de la Ligue de Gironde, qui a été un vrai soutien dans mon combat. Je précise que je ne remets pas en cause les compétences de mon oncologue ni des soignants ou des services administratifs, qui font de leur mieux dans un système devenu très compliqué où tout est guidé par l’argent… Finalement, nous subissons tous les conséquences de l’abandon des services de soins. »
Stéphane Lobre, traité pour un lymphome hodgkinien en Gironde
Le point de vue
de Patrice Pinell, sociologue, ancien directeur de recherche à l’Inserm
Quelle est l’image sociale du cancer ?
Dans la Grèce Antique, le cancer était considéré comme la plus terrible des maladies, exceptionnelle par sa rareté et sa cruauté. Cette image a tenu jusqu’au début du XXe siècle où les progrès de la médecine ont permis quelques guérisons. Quand la Ligue contre le cancer naît, en 1918, elle porte l’idée que la maladie est curable à condition d’être prise en charge rapidement. Il faut alors que les gens s’inquiètent de ce qui ne les inquiétaient pas jusqu’alors et ce discours de la peur bénéfique se poursuit dans l’entre-deux guerres.
Dans les années 60, des parcours de guérison font évoluer l’image du cancer dans les familles mais son association à « la mauvaise mort », celle qui survient au terme de dégradations physiques et de terribles souffrances, reste toujours présente. Si, aujourd’hui, l’idée que le cancer n’est plus irrémédiablement une maladie mortelle a globalement progressé, des différences sociales n’en existent pas moins dans les représentations que les gens s’en font. Plus la distance culturelle des malades au savoir médical est importante, plus ils auront tendance à percevoir le cancer comme une maladie laissant peu de place à l’espoir et, pour certains, à retarder le moment de consulter un médecin… d’où le risque de diagnostics tardifs. À ces différences socioculturelles s’ajoutent les conséquences des inégalités d’accès au système de santé, en particulier dans les territoires où l’offre de soins est limitée. Enfin, la diffusion de certaines fake news sur les réseaux sociaux est un problème dont il serait important de prendre la mesure.