La douleur ressentie pendant un cancer peut être liée à la tumeur elle même mais également aux traitements ou aux actes de soins et aux examens mis en œuvre pour le suivi de la maladie. La majorité des douleurs peuvent être soulagées par des traitements relativement simples. Cependant, elles peuvent être résistantes dans 10 à 15 % des cas, avec un impact sur l’état général et la qualité de vie. Au pire des cas, le traitement du cancer lui-même peut s’en trouver modifié, suspendu, voire abandonné par le patient avec, à la clé, une perte de chances. Lorsqu’elles surviennent à la suite des traitements et qu’elles deviennent chroniques, difficiles à traiter, elles « s’installent » et leur persistance constitue alors un frein au rétablissement de la personne malade.
De fait, une prise en charge efficace est absolument essentielle à l’amélioration de la qualité de vie et, lorsque la douleur se révèle réfractaire à l’arsenal des traitements standards (médicaments, approches non médicamenteuses, techniques locorégionales), la mise en œuvre d’une technique de recours comme l’analgésie intrathécale peut constituer une alternative de choix dans la prise en charge des douleurs du cancer.
Une technique efficace mais difficile d’accès
L’analgésie intrathécale consiste à implanter chez un patient une pompe délivrant à intervalles réguliers, au moyen d’un cathéter introduit le long de la colonne vertébrale, une dose de médicament directement dans le liquide céphalorachidien, qui baigne le système nerveux central (le cerveau et la moelle épinière). Cette diffusion directement au coeur du centre de transmission de la douleur améliore l’efficacité du traitement et réduit drastiquement (jusqu’à 200 fois) la dose d’antidouleur administrée, et donc les effets indésirables. Elle nécessite cependant une infrastructure, des moyens et des professionnels adéquatement formés. Elle est donc difficile d’accès, et peu de patients, hormis ceux résidant à proximité de grands centres hospitaliers, peuvent en bénéficier.
Face à ce constat, la professeure Gisèle Chvetzoff(1), cheffe du département des soins de support au Centre Léon Bérard de Lyon, a lancé ITARA (Intra-Thécale Auvergne- Rhône-Alpes), un projet qui a bénéficié du soutien de la Fondation Apicil et des Comités départementaux de la Ligue de la Loire et de l’Ardèche. « Il s’agit de proposer une organisation qui structure et sécurise l’accès à l’analgésie intrathécale dans notre région, autour de deux pôles d’expertise, le Centre Léon Bérard à Lyon et le CHU à Saint-Étienne », explique Gisèle Chvetzoff.
ITARA est un projet collaboratif entre plusieurs équipes qui fait dialoguer les professionnels entre eux et les aide à déterminer quelles techniques antidouleur utiliser, et quand les utiliser.
Un réseau d’établissements partenaires
Il est cependant difficile, et sans doute peu souhaitable, de créer des équipes dédiées dans de trop nombreux établissements : « Une équipe qui n’implanterait qu’une ou deux pompes par an ne disposerait pas de l’expérience et de la fiabilité nécessaires », confirme Gisèle Chvetzoff. Sans parler des coûts. ITARA s’est donc focalisé sur la mise en place d’un réseau d’établissements partenaires en leur fournissant toute une palette de services et en formant en leur sein des équipes capables d’assurer le remplissage de la pompe et le suivi des patients. L’implantation des pompes a lieu principalement à Lyon, parfois à Saint-Étienne ou à Grenoble et, grâce à ITARA, depuis deux ans également à Clermont-Ferrand. Le reste du processus peut désormais s’effectuer aussi à Chambéry, Aubenas, Sallanches, Villefranche-sur-Saône, Villeurbanne, et bientôt à Hauteville et Bourg-en-Bresse. En 2023, quarante-huit patients bénéficiaient déjà d’une analgésie intrathécale en région Auvergne-Rhône-Alpes. « Le public potentiellement concerné est probablement d’au moins le double, estime Gisèle Chvetzoff. Des efforts importants doivent encore être fournis pour mieux faire connaître la technique auprès des oncologues. »
(1) Gisèle Chvetzoff a reçu en 2022 le Prix Axel Kahn de la Ligue nationale contre le cancer pour l’ensemble de ses réalisations en matière de lutte contre les douleurs du cancer et, en particulier, le développement du projet ITARA.
Une culture à pérenniser et à diffuser en France
ITARA n’est pas un projet unique. Il existe aujourd’hui six autres dispositifs similaires en France, mais le développement de l’analgésie intrathécale n’est pas pour autant garanti. D’abord, ces dispositifs sont tous confrontés à l’absence de financements pérennes. Ensuite, au-delà des problématiques plus globales d’accès aux soins, notamment dans les déserts médicaux, l’analgésie intrathécale souffre d’un déficit d’image auprès des oncologues. La technique est encore trop peu connue, et suscite parfois des réticences. Certains oncologues craignent en effet, et parfois à juste titre, qu’elle occasionne une interruption ou un retard du traitement du cancer. « Il est certain que l’analgésie intrathécale ne peut pas être mise en place à n’importe quel moment, confirme Gisèle Chvetzoff. L’opportunité de son utilisation doit faire l’objet d’un vrai dialogue entre l’oncologue, son patient et les équipes de soins spécialisées dans la prise en charge de la douleur. »