Emmanuel Vigneron, docteur en géographie,
professeur émérite des universités et vice-président de la commission spécialisée dans les déterminants de santé et les maladies non-transmissibles au Haut conseil de la santé publique.
Guy Launoy, docteur en médecine et épidémiologie
et directeur de l’unité de recherche interdisciplinaire pour la prévention et le traitement des cancers (Anticipe) à l’Université de Caen (14).
Guy Launoy (à gauche) et Emmanuel Vigneron ( à droite)
Quand on parle de désert médical, en France, de quoi s’agit-il ?
Emmanuel Vigneron : En France, un désert médical est une zone offrant une densité médicale inférieure de 20 à 30 % à la moyenne. Aujourd’hui, près de 10 millions de personnes sont concernées, soit 15 % de la population. Or, il ne serait pas anormal d’avoir dans notre pays une assez bonne répartition de la population médicale, notamment parce que l’accès à la santé de tous relève de notre devoir constitutionnel.
Guy Launoy : Le manque de médecins généralistes est un vrai facteur d’inégalité entre les populations. Cela explique notamment la saturation des urgences, monopolisées par les patients qui ne disposent plus de médecin près de chez eux.
Quelles sont les conséquences de l’éloignement des centres de soins sur la santé ?
G. L. : Dans le cas du cancer du sein, qui bénéficie d’un dépistage organisé s’appuyant sur les cabinets radiologiques, plus les femmes sont éloignées du radiologue, moins elles ont accès au dépistage. Cela n’est pas lié à un choix personnel ou à un comportement individuel ; c’est véritablement l’organisation des soins qui est à mettre en cause.
E. V. : Dans le champ du cancer de la prostate également, les médecins intervenant en milieu rural profond reçoivent des patients à un stade déjà très avancé. Ce retard de dépistage entraîne en général un moins bon pronostic et des suites opératoires plus compliquées. Idem pour la prise en charge du cancer de l’utérus qui est souvent découvert plus tardivement chez les femmes vivant en milieu rural.
Que faudrait-il changer pour réduire ces inégalités d’accès aux soins ?
G. L. : Tout est affaire de choix politique. Au lieu de pratiquer l’universalisme, qui consiste à offrir la même chose à tout le monde, il faudrait pratiquer ce que l’on appelle « l’universalisme proportionné » et aller vers davantage d’équité. Il s’agirait, alors, de déployer plus de moyens pour ceux qui ont moins. Par exemple, pour le dépistage du cancer du sein, nous pourrions réfléchir à la mise en place d’un camion, à l’instar du mammobile testé en Normandie. Celui-ci desservirait uniquement les femmes résidant loin d’un cabinet de radiologie.
E. V. : Je pense aussi qu’il faut travailler sur l’inclusion sociale pour notamment compenser le délitement de la solidarité et miser sur l’éducation de tous à la santé. Une association comme la Ligue contre le cancer, notamment, a un grand rôle à jouer dans ce domaine.