« Mais pourquoi les malades continuent-ils d’avoir mal ? », se demande, faussement dubitatif, le docteur Patrick Michaud. Ancien responsable du département des soins de support à l’Institut de cancérologie de la Loire et ancien président du Comité de la Loire de la Ligue, il préside aujourd’hui la commission « Actions pour les personnes malades » à la Ligue nationale. « J’ai l’impression qu’en France, on a un problème avec la prise en charge de la douleur. C’est pourtant un enjeu essentiel, notamment en cancérologie. La prendre en charge est une obligation pour une équipe médicale : éthique, déontologique, mais aussi légale. Cependant, malgré trois plans de lutte, malgré des progrès dans la formation, malgré la pression des associations, on continue de voir des patients qui souffrent et ne sont pas correctement pris en charge. » Si elle n’est pas ou mal prise en charge, les conséquences de la douleur sont souvent lourdes, pour le malade mais aussi pour son entourage, avec des répercussions psychiques, sociales, comportementales, cognitives… Les Anglo-Saxons expriment cela par la notion de total pain (douleur totale).
Vous avez dit « algologue » ?
Il existe pourtant des structures – les centres d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) – et des médecins spécialisés, les algologues. Le professeur Éric Salvat, responsable du CETD du CHRU de Strasbourg (67), est l’un d’eux : « Je préfère parler de douleurs au pluriel, car la douleur est multiforme, surtout en cancérologie. Une particularité du cancer est en effet que la douleur liée à la maladie est indissociable du traitement. Elle peut être aiguë ou chronique et prendre plusieurs formes. Sans oublier qu’elle peut aussi être salvatrice, lorsqu’elle révèle la présence d’une tumeur ».
Pour Patrick Michaud, « les professionnels de santé ont longtemps eu tendance à considérer que l’important est de traiter la maladie et que la douleur est le prix à payer. Les choses évoluent, mais il faut du temps pour écouter la personne malade et bien évaluer la douleur. Du côté des patients, certains n’osent pas exprimer la douleur : ils veulent paraître de “bons malades”, ne pas reconnaître que la maladie évolue, ou ont parfois des idées reçues sur les effets secondaires… ».
Douleur et douleurs
Sans prétendre à l’exhaustivité, il existe plusieurs types de douleur :
- nociceptive : lorsqu’elle provient d’une lésion des tissus à proximité de la tumeur ;
- neuropathique : lorsqu’une tumeur infiltre ou comprime un nerf ou sa racine ;
- nociplastique : lorsque la douleur est présente, malgré l’absence d’évidence claire de lésion ou menace de lésion.
Aiguës ou chroniques, les douleurs peuvent être liées directement à la tumeur mais aussi résulter du traitement, qu’il soit médicamenteux, chirurgical, sous chimiothérapie ou radiothérapie.
Il existe des réponses efficaces
Éric Salvat a d’ailleurs un message à l’attention des patients : « Il faut déculpabiliser, ne jamais hésiter à parler de ses douleurs aux soignants. Même lorsque le médecin vous a “sauvé la vie” et que vous hésitez à le déranger ». Car dès lors que le dialogue est engagé, que la douleur et ses causes sont identifiées, il existe des réponses efficaces. « Elles peuvent être médicamenteuses, avec les trois classes d’antalgiques, allant du paracétamol à la morphine. Sans oublier certains antidépresseurs ou antiépileptiques pour des douleurs d’origine neuropathique. Mais on peut aussi utiliser l’analgésie interventionnelle (locorégionale) ou intrathécale, ce qu’on appelle familièrement les pompes à morphine. Des traitements non médicamenteux peuvent aussi être efficaces : les massages, le froid, des techniques cognitivo-comportementales comme l’hypnose, la sophrologie, la méditation… La chirurgie est également utilisée pour traiter certains types de douleur, de même que la radiologie interventionnelle sous contrôle du scanner. Et la recherche creuse des pistes intéressantes, comme l’utilisation du cannabidiol (CBD), ou les anesthésies locorégionales. »
Dans la tête, vraiment ?
La dimension psychologique de la douleur est tout aussi essentielle. Rien à voir, bien sûr, avec le « ça se passe dans votre tête » qu’on oppose parfois à certains malades. Pour Véronique Gerat-Muller, docteur en psychologie et clinicienne à l’Institut Bergonié de Bordeaux (centre régional de lutte contre le cancer), « il est essentiel de décrypter les composantes de la douleur, car cela va permettre d’utiliser différentes portes d’entrée. Attention, toutefois : on ne peut pas accompagner un patient si on ne calme pas d’abord sa douleur physique. Le meilleur moyen pour décoder, c’est l’échange, même si certains malades ont parfois du mal à exprimer leur ressenti ou se taisent en voulant être “le patient idéal”. D’où l’importance des messages non verbaux. Il faut aussi distinguer la douleur et la souffrance : le “j’ai mal” ou le “je suis mal”. Le psychologue sera attentif aux mots que le patient va poser sur sa douleur, aux interactions avec son entourage. Il doit aussi l’aider à répondre à certaines questions – non, la santé n’est pas une médaille et la maladie une punition – et traiter du sentiment d’injustice ». Le travail se fait en équipe pluridisciplinaire, autour du médecin ou de l’infirmier. Mais même dans un centre de lutte contre le cancer, on manque parfois de temps et de moyens. Et, insiste Véronique Gerat-Muller, « il faudrait plus de coordination : le patient présente des facettes différentes selon l’interlocuteur… »
Outre ses dimensions physiologiques, on distingue quatre composantes de la douleur.
- SENSORIELLE : ce que le patient sent, en termes de durée, d’intensité, de localisation et de type (coup de poignard, brûlure…).
- AFFECTIVE ET ÉMOTIONNELLE : ce que le patient ressent. L’expression peut être verbale ou non verbale. On est dans l’affectif et l’émotionnel (solitude, colère, abandon, peur).
- COMPORTEMENTALE : ce que le patient manifeste, de façon verbale ou non (nervosité, agressivité, repli…).
- COGNITIVE : ce que le patient dit de sa douleur, le sens qu’il lui donne et qui se construit par rapport à son vécu ou au contexte présent.
Une consultation douleur à l’Espace Ligue 33
Dans le cadre d’une convention signée en 2019 avec l’Institut Bergonié, l’Espace Ligue de Bordeaux métropole propose une consultation douleur aux personnes malades du cancer souffrant de douleurs liées aux traitements (chirurgie, chimiothérapie). Chaque vendredi après-midi, un médecin algologue détaché du centre régional de lutte contre le cancer reçoit exclusivement les patients bénéficiaires du dispositif d’accompagnement de l’Espace Ligue. L’avantage ? Un court délai d’attente pour obtenir un rendez-vous. Et surtout, des personnes malades soulagées par une prise en charge adaptée. La consultation est remboursée par l’assurance maladie.
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Courriel :
cd33@ligue-cancer.net
Tél. : 05 56 94 76 41