Pourquoi la Ligue contre le cancer s’est-elle saisie du sujet de la douleur ?
Claude-Agnès Reynaud, immunologue, directrice de recherche au CNRS et présidente du Conseil scientifique national de la Ligue : C’est un sujet qui s’inscrit pleinement dans notre mission de soutien aux patients. Par ailleurs, Axel Kahn, notre ancien président, a témoigné du fait que le plus difficile à vivre, pour lui, au cours du cancer qui l’a emporté, a été d’éprouver une douleur constante. Aussi la Ligue a-t-elle décidé de porter ce sujet, au moyen du prix Axel Kahn et d’un appel à projets, afin d’aider à l’émergence de nouvelles solutions contre la douleur.
Y a-t-il une problématique de la douleur spécifiquement liée au cancer ?
Didier Bouhassira, neurologue à l’hôpital Ambroise Paré et directeur de recherche à l’Inserm : Le cancer peut faire intervenir différents types de douleur, liés aux tumeurs ou aux métastases, mais aussi aux traitements. Ainsi, la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie peuvent toutes les trois entraîner des douleurs, notamment d’ordre neuropathique, liées à des lésions du système nerveux. Ces différents types de douleur ont des caractéristiques cliniques particulières qui nécessitent des traitements adaptés, d’où le besoin de les reconnaître avec précision : les douleurs neuropathiques, par exemple, ne répondent pas aux antalgiques classiques, mais peuvent être soulagées avec certains antidépresseurs ou certains antiépileptiques. C’est pourquoi mon équipe a mis au point, il y a une vingtaine d’années, deux questionnaires complémentaires pour évaluer la douleur. Il y a d’abord le DN4, un questionnaire de dépistage des douleurs neuropathiques. Le DN4 est simple, rapide, et surtout fiable, d’où son succès à l’international. Son complément, le NPSI, sert non seulement à évaluer quantitativement les douleurs neuropathiques, mais également à déterminer leurs composantes.
C.-A. R. : La douleur est un sujet très présent. On estime que près d’un patient sur deux éprouve des douleurs chroniques consécutives à un cancer. De nombreux chercheurs travaillent en France sur la douleur, mais malheureusement trop peu sur le lien spécifique entre douleur et cancer. Toutefois, les besoins en la matière sont connus : il faut de nouvelles molécules antidouleur, une meilleure adaptation des traitements à la nature de la douleur, évoluer vers des solutions davantage personnalisées et diversifiées, une meilleure compréhension fondamentale des mécanismes…
Les progrès de la recherche se font-ils attendre ?
D. B. : Il n’y a pas eu de grandes innovations médicamenteuses, ces dernières années, dans le domaine du traitement de la douleur. Toutefois, on sait bien mieux utiliser les traitements existants, comme la capsaïcine, issue du piment rouge, que l’on applique sous forme de patch à haute concentration, et dont les effets peuvent durer plusieurs mois. On utilise également la toxine botulique (le botox) en injection sous-cutanée directement dans la région de la douleur. Et il y a eu de nets progrès dans les traitements non médicamenteux, comme les techniques de neuromodulation, qui agissent directement sur les systèmes cérébraux de contrôle et de modulation de la douleur. On arrive assez bien à contrôler la douleur aiguë, mais la prise en charge des douleurs chroniques est plus complexe.
Il y a des progrès à réaliser en matière d’écoute des patients et de reconnaissance des signes de douleur. Il serait également souhaitable de parvenir à débarrasser la morphine, une molécule très efficace, de ses effets secondaires problématiques. Je pense que les techniques de neuromodulation ont de l’avenir, parce qu’elles occasionnent beaucoup moins d’effets secondaires que les médicaments, et qu’elles pourraient plus facilement être utilisées à domicile. Mais les progrès viendront vraisemblablement de notre capacité à adapter et combiner les traitements pour chaque patient.
C.-A. R. : C’est pourquoi, dans le cadre de nos appels à projets, nous essayons d’embrasser tout le spectre de la recherche sur la douleur, qu’il s’agisse de son évaluation, de l’efficacité et de la tolérance des traitements, du soutien à la formation des soignants, de la connaissance des mécanismes physiopathologiques, d’une meilleure utilisation des molécules ou de la découverte de nouvelles. Les deux premières éditions du prix Axel Kahn ont d’ailleurs été très représentatives de cette démarche à grand angle.