Depuis le 1er février 2007, le tabac ne pollue plus les lieux publics ni les entreprises. La Ligue contre le cancer a largement contribué à cette avancée majeure pour la santé publique, faisant d’elle le porte-drapeau de celles et ceux qui ne veulent plus être victimes de la fumée des autres.
Le point avec Emmanuel Ricard, directeur des actions de lutte.
La stratégie de dénormalisation s’est progressivement imposée dans le champ de la lutte contre le tabac. Mais de quoi parle-t-on exactement ?
Emmanuel Ricard : La dénormalisation est un concept qui vise à changer les attitudes face à ce qui est considéré généralement comme un comportement normal et acceptable. On parle d’inverser la tendance en supprimant complètement le tabac de notre environnement, en faisant en sorte qu’il ne soit plus associé à une notion de plaisir récréatif. L’interdiction de fumer dans les lieux publics contribue à la dénormalisation du tabagisme dans la société, par exemple.
De quelle manière la Ligue s’est-elle intégrée dans cette stratégie ?
E.R. : Le label Espace sans tabac lancé par la Ligue a pour vocation de proposer, en partenariat avec les collectivités territoriales, la mise en place d’espaces publics extérieurs sans tabac non soumis à l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Pour les plages, il se décline avec le label Plage sans tabac. Cette mesure a notamment pour objectifs d’éliminer l’exposition au tabagisme passif, en particulier celle des enfants, mais aussi de réduire l’initiation au tabagisme des jeunes et d’encourager l’arrêt du tabac. La Ligue agit aussi contre la publicité déguisée pour les cigarettes, dans les cinémas.
L’année 2005 voit l’entrée en vigueur de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac (CCLAT), ratifiée par 182 pays, soit 90 % de la population mondiale ! Ce traité international est-il le début d’une prise de conscience globale ?
E. R. : Exactement. L’industrie du tabac étant mondialisée, il a fallu créer un cadre de référence permettant à l’ensemble des gouvernements d’avoir une politique à la fois concertée et documentée de lutte contre le tabac.
Qu’est-ce que ce traité a amené de concret en France ?
E. R. : En France, la CCLAT a permis de réunir autour de la table des discussions l’ensemble des ministères concernés, à savoir la Santé, le Budget (pour la fiscalité) et l’Intérieur ainsi que les douanes. S’en est suivie l’entrée en vigueur du décret Bertrand imposant l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Mais aussi le financement d’aides à l’arrêt du tabac (substituts nicotiniques), ou encore le développement du paquet neutre. Elle a aussi initié le dispositif de traçabilité des produits du tabac afin de mieux lutter contre la contrebande et la contrefaçon et ainsi soutenir la lutte contre le tabagisme.
En 2011, la Ligue lance la campagne « Tueurs-payeurs » afin d’obtenir un prélèvement sur les profits de l’industrie du tabac. Que recouvre la réalité de cet impôt solidaire ?
E. R. : L’idée initiale était d’éviter que ce soit aux consommateurs de payer une taxe sur les paquets de cigarettes, en imposant une contribution sur le chiffre d’affaires des fournisseurs des produits du tabac. Cela a fonctionné un temps et a notamment financé le fonds de lutte contre les addictions. Mais le lobby industriel a renversé la tendance et, aujourd’hui, ce sont de nouveau les consommateurs qui paient la taxation des paquets. Le fonds de lutte contre les addictions finance des opérations de sensibilisation, comme le Mois sans tabac, mais également la lutte contre l’ensemble des addictions avec ou sans substance.
Que reste-t-il à faire dans la lutte contre le tabac en 2023 ?
E. R. : Parmi les grands chantiers, la Ligue plaide pour une uniformisation européenne de la politique fiscale à mener, notamment dans les pays transfrontaliers. Et la Ligue travaille actuellement avec le ministère de la Santé et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) sur l’amélioration de la prise en charge hospitalière pour l’arrêt du tabac, avec des critères de qualité précis. Un autre grand objectif demeure la dénormalisation du tabagisme auprès des plus jeunes pour atteindre une génération sans tabac qui passe aussi par l’interdiction de la puff, une cigarette électronique aromatisée qui les cible en particulier.
..
« Nouvelle ère, nouvel air » donne un second souffle
En 2005, la Ligue lance la pétition « Nouvelle ère, nouvel air » pour une loi interdisant totalement de fumer dans les lieux publics et au travail. C’est la première fois que la Ligue s’engage dans une telle action citoyenne. La pétition a été imprimée à trois millions d’exemplaires et signée par plus de 360 000 personnes. On se souvient encore de cette affiche baptisée « Autopsie d’un meurtrier », décryptant l’ensemble des produits toxiques qui composent un mégot de cigarette. La suite, on la connaît : la campagne a abouti, en 2007, au décret Bertrand interdisant le tabac dans les lieux publics et en entreprise. Puis, en 2008, dans les bars-tabacs, restaurants, hôtels, casinos et discothèques. Une grande victoire pour la Ligue !