Les premiers États généraux des malades du cancer
Le 28 novembre 1998, la Ligue lance les premiers États généraux des malades du cancer. Un événement majeur qui signe l’organisation politique de la lutte contre le cancer. L’occasion pour le magazine Vivre de montrer que l’association ne soutient pas seulement les malades sur le plan économique et psychologique, mais s’engage à leurs côtés pour revendiquer une amélioration de leur situation. Rétrospective avec Henri Pujol, ancien président de la Ligue contre le cancer (1998-2007).
En 1998, vous lancez les premiers États généraux des malades atteints de cancer. Une vraie révolution dans le paysage de la cancérologie en France !
Henri Pujol : La vraie révolution, c’est d’avoir mis les malades au centre des discussions. Alors que certains d’entre eux décrivaient leurs difficultés présentes, d’autres ont fait preuve d’une véritable expertise sur les nécessaires changements dans la relation soignant-soigné. De cette journée, il est ressorti de l’insatisfaction, parfois de la colère, mais surtout une demande inouïe de besoins et de changements.
Dysfonctionnements répétés du dispositif de lutte contre le cancer, imperfections chroniques de la relation patient-médecin, décalage immense entre la prise en charge médicale et la prise en charge psychologique… autant de motifs d’insatisfaction, à l’époque. Qu’en est-il aujourd’hui ?
H. P. : Aujourd’hui, tout converge vers le malade. Son parcours de soins est désormais fléché. Et toute décision le concernant est soumise à une réunion de concertation pluridisciplinaire. C’est une grande avancée, même s’il y a parfois des manques, en particulier dans la transparence des échanges lors de ces réunions.
En 1998, on reprochait au système de ne pas avoir créé de passerelle entre l’hôpital et la médecine de ville. Aujourd’hui, c’est plus que jamais d’actualité, non ?
H. P. : Je fais partie de ceux qui pensent que l’acquisition de soins de grande qualité en cancérologie suppose des spécialisations. C’est la raison pour laquelle on a créé des centres de référence partout en France. C’est ce qui a permis d’éviter le désert médical en cancérologie. Pour autant, les généralistes se sentent parfois dépossédés de leur rôle. Certains aimeraient être un peu plus concernés par l’après-cancer ou les soins à domicile. Il y a encore des progrès à faire dans ce sens.
Autre revendication importante, à l’époque : faciliter la réinsertion professionnelle et sociale. Quelles sont les avancées dans ce domaine ?
H. P. : Grâce à la Ligue, les malades n’hésitent plus à parler ouvertement de leur cancer à leur employeur et à faire valoir leur droit au temps partiel thérapeutique. Sur le plan social, la Ligue a répondu à la question cruciale de l’accès à l’emprunt, qui s’est concrétisée avec le droit à l’oubli issu du 3e Plan cancer de François Hollande.
S’en sont suivis des forums citoyens en régions, des réunions publiques et des initiatives locales… La synthèse des débats, en juin 1999, a fait progresser la notion de « droits des malades ». Quels souvenirs en gardez-vous ?
H. P. : L’expression « États généraux » est inséparable de celle de « cahier de doléances ». La Ligue a parcouru les provinces de France pour recueillir en direct les doléances des malades. L’occasion d’évoquer des sujets aussi variés que la consultation d’annonce, le retour à l’emploi, le droit au 2e avis médical…
Résultat : ce sont les malades eux-mêmes qui ont construit les solutions à leurs besoins. C’est à partir de là qu’on a inclus des malades dans les protocoles de recherche. Ils ont notamment aidé à rendre lisibles des documents d’accompagnement aussi importants que le livret d’information et le consentement éclairé. Les malades sont devenus petit à petit des experts, acteurs de leurs soins et de la recherche.
À la suite des premiers États généraux, un Livre blanc a été publié et a mis en avant cinq grands axes de travail : améliorer l’information et la communication ; développer le soutien psychologique ; améliorer la qualité de vie des malades ; contribuer à réduire l’inégalité devant les soins ; et lutter contre l’exclusion sociale et économique. Est-ce qu’en 2023, on peut dire qu’on a réussi ?
H. P. : Dans l’ensemble, le Livre blanc a été lu et entendu. L’information et la communication ont été nettement améliorées, notamment avec la création de la consultation d’annonce, même s’il reste des progrès à faire. Le soutien psychologique est devenu une évidence, tant les hôpitaux ont recruté de psychologues. L’amélioration de la qualité de vie des malades peut passer par les soins de support, ces interventions non médicamenteuses qui regroupent des activités aussi variées que l’activité physique adaptée, le conseil nutritionnel, les soins de socio-esthétique… L’inégalité devant les soins a été réduite avec l’identification de centres habilités dans toute la France, mais il reste encore du chemin à parcourir pour l’accès à tous aux traitements innovants. Et en ce qui concerne la lutte contre l’exclusion sociale et économique, d’excellentes mesures ont vu le jour, en particulier le temps partiel thérapeutique pour les malades qui souhaitent reprendre le chemin du travail plus sereinement.
Les deuxièmes États généraux des malades du cancer en 2000 ont abouti au vote de la loi Kouchner en 2002, puis au premier Plan cancer de Jacques Chirac en 2003. Peut-on dire que la Ligue a contribué à dessiner les contours d’une véritable politique publique en matière de lutte contre le cancer ?
H. P. : Tout à fait ! La Ligue a apporté les matériaux de construction au « chantier cancer » avec ces deux événements majeurs. Bernard Kouchner disait lui-même que les États généraux de 1998 ont représenté une étape importante de son passage au ministère. De même que la communauté médicale a enregistré cet événement comme un fait marquant pour la profession. Un élan a été donné avec la Ligue. Et il se poursuit encore aujourd’hui.
Préparer les grandes orientations de la politique de santé, identifier les objectifs majeurs de santé publique, offrir une plus large place aux usagers dans notre système de santé et faire progresser le droit des malades : un vaste programme ! Une fierté ?
H. P. : Ce sont les ligueurs qui ont « mouillé le maillot » et qui ont entraîné l’adhésion des malades. À l’époque, un comité des malades du cancer a été créé, ce qui a inspiré d’autres malades, notamment les personnes greffées du rein qui ont fait leurs propres États généraux. Nous-mêmes, à la Ligue, nous nous sommes inspirés de ce qui avait été fait pour les malades du sida. Il y a une solidarité entre les malades. Tout est parti des États généraux de la santé lancés par Lionel Jospin. La Ligue a été un fer de lance pour les autres associations. C’est une vraie fierté collective !
De quelle façon la Ligue a-t-elle été partie prenante dans l’orientation du 2e Plan cancer en 2009 et du 3e en 2014 ?
H. P. : À chaque fois, la Ligue a posé de nouvelles pierres à l’édifice, notamment avec le droit à l’oubli qui a ouvert l’accès au crédit, ou encore avec l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Nous avons contribué à faire changer les mentalités en faisant venir le changement dans la vie quotidienne des malades et des proches.
L’idée de départ, c’était de faire évoluer la mentalité des cancérologues en France en apportant davantage d’humanité, d’écoute, de dialogue… En 2023, peut-on dire que ça a marché ?
H. P. : Oui, il y a un vrai changement de mentalité qui s’est opéré chez les soignants. Parallèlement, les patients sont de mieux en mieux informés et de plus en plus exigeants. Ils savent si les médecins font le maximum pour eux.
Quels progrès reste-t-il à faire dans le domaine de la prise en charge des malades ?
H. P. : La meilleure réponse de la cancérologie, c’est d’informer clairement et complètement, et d’être à l’écoute de ce qui manque dans la prise en charge. Seul le collectif peut y répondre. La concertation pluridisciplinaire est à cet égard un outil magnifique pour éviter la perte de chances. Enfin, les malades devraient être plus impliqués dans l’évaluation hospitalière de leur prise en charge.
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Les grandes étapes de la construction du droit des malades
1998
Premiers États généraux des malades du cancer organisés par la Ligue.
2000
Deuxièmes États généraux des malades du cancer organisés par la Ligue.
2002
Vote de la loi Kouchner relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
2003
Premier Plan cancer (2003-2007) mis en place par Jacques Chirac.
2004
Troisièmes États généraux des malades atteints de cancer et de leurs proches organisés par la Ligue.
2008
La Ligue organise la première Convention de la société face au cancer.
2009
Deuxième Plan cancer (2009-2013) lancé par Nicolas Sarkozy.
2014
Troisième Plan cancer (2014-2019) sous l’égide de François Hollande.
2021
Stratégie décennale de lutte contre les cancers (2021-2030).